Lors de l’essor du christianisme, tous les autels consacrés aux génies des lieux, aux dianes champêtres, aux elfes et aux fées, ainsi que les cultes qui s’y déroulaient, furent dans un premier temps condamnés et interdits par le clergé naissant.
Saint Éloi part en croisade contre les fées
C'est ainsi que le "bon" saint Éloi, parti convertir les Belges au christianisme, insista fermement, dans son allocution pastorale, sur le blasphème que constituaient aux yeux de Dieu les luminaires et les offrandes placés auprès des rochers, des sources, des arbres, des cavernes et des carrefours.
Le vingt-troisième canon du concile d'Arles, qui s'est tenu en 442, proscrivit à son tour le culte des arbres, des pierres et des fontaines. Ces prohibitions furent reprises par des conciles ultérieurs, tels que celui de Tours, en 567, celui de Leptines, près de Binche, en 743, qui contient un florilège des principales superstitions qui animaient les Belges aux temps du paganisme, et enfin celui de Nantes, en 900.
Un capitulaire d'Aix-la-Chapelle, datant de l'an 789, taxe de sacrilèges les païens récalcitrants qui continuent à allumer des feux la nuit près des arbres, des pierres levées et des fontaines, en hommage aux entités féeriques qui y avaient élu domicile. Les lois de Luitprand renouvelèrent l'interdiction.
Mais toutes ces mesures se révélèrent inefficaces. Le peuple, siècle après siècle, continuait à braver les interdits pour aller rendre ses hommages au petit peuple des fées. Aussi, les gens d'Église furent-ils amenés peu à peu à reconvertir ces temples païens en lieux de culte chrétiens. Alfred Maury explique : "Ces forêts sacrées que les Celtes avaient si longtemps honorées comme la demeure des divinités, dans lesquelles ils n'entraient que comme dans un sanctuaire, l'âme saisie d'une crainte religieuse, ces forêt, dis-je, continuèrent à inspirer le même respect, la même vénération. Des images pieuses furent placées sur les arbres jusqu'alors adorés, sur le chêne, le hêtre, le tilleul et l'aubépine ; et le peuple, en venant, selon son antique coutume, se prosterner sous leur ombre, honora presque à son insu un nouveau dieu." (A. MAURY, Les Fées au Moyen Age - Paris - 1843).
La vierge Marie, patronne des fées
La plupart des hauts lieux chrétiens furent édifiés sur d'anciens lieux de culte païens. Ainsi, le mont Tombe, ancien lieu de pèlerinage celte, fut transformé en Mont-Saint-Michel. La cathédrale de Paris fut élevée sur l'emplacement d'un ancien temple gaulois consacré à Lug, le dieu de la Lumière. Et les autels champêtres, les arbres sacrés et les grottes habitées par les fées furent reconvertis en lieux d'adoration de la Vierge Marie qui, de ce fait, devint la patronne des fées.
Certains affirment même que bon nombre des miracles ou apparitions mariales qui se déroulèrent dans ces anciens lieux païens n'étaient, en définitive, que des manifestations de fées... En réalité, et contrairement à ce qu'affirmait l'Église médiévale, la croyance aux fées ne s'oppose en rien à la croyance chrétienne; au contraire : elle l'annonce par bien des points. Rappelons par exemple l'importance du chiffre trois dans les manifestations féeriques. Or, le trois est également le symbole de la Trinité chrétienne. Les Églises chrétiennes primitives l'ont bien compris : ainsi, l'on peut voir en Grèce une icône orthodoxe dans laquelle le Christ donne sa bénédiction à des créatures ailées qui ressemblent autant à des elfes qu'à des anges.
Alfred Maury note à ce propos : "C'était ordinairement une image de la Vierge que les prêtres plaçaient au-dessus des arbres sacrés. Le vieux chêne de la Loupe paraît avoir été un de ces anciens monuments du culte druidique ainsi métamorphosés en relique chrétienne ; on l'appelle aujourd'hui le chêne de la bonne Vierge". M. de la Villemarqué, cité par A. MAURY, rappelle un fait bien curieux, et qui prouve à quel point les anciennes superstitions résistent longtemps, même au progrès des lumières. "Au mois d'août 1835, dit-il, tous les habitants de la paroisse de Concoret (département du Morbihan) se rendirent processionnellement, bannières et croix en tête, au chant des hymnes et au son des cloches, à la fontaine de Barenton et dans la forêt de Brechéliant (Brocéliande), pour demander la pluie au ciel...".
Les landes et les forêts de Bretagne ou d'Écosse sont remplies, encore aujourd'hui, d'empreintes qui témoignent du passage des fées et des anciens enchanteurs. Les dolmens furent transformés en calvaires ; les fontaines magiques et les grands chênes des druides furent consacrés à la Vierge, et les plantes et herbes médicinales aux vertus merveilleuses, que les sorcières allaient ramasser au clair de lune, furent placées sous le patronage des saints du calendrier.
Mais, sous le manteau de la religion, les fées continuaient à assurer leur fonction de marraines des hommes...