Paris a déjà contribué à l’acheminement d’armes légères « démarquées » vers les rebelles. François Hollande hésite à révéler cette aide publiquement, de crainte d’apparaître isolé.
Les faits - François Hollande, qui a achevé hier une visite de deux jours au Qatar, a évoqué une «approche commune» avec ce pays sur le dossier syrien. Le président de la République a souligné la volonté de Paris et de Doha «d’aider l’opposition à se défendre et gagner des positions sur le terrain». Les pays « amis de la Syrie » occidentaux et arabes qui se sont réunis samedi au Qatar se sont mis d’accord pour une « aide urgente » aux insurgés, laissant chaque Etat agir « à sa manière ». François Hollande a fait, dimanche soir sur la voie de son retour en France, une courte étape en Jordanie, où il devait rencontrer le roi. C’est à partir de ce pays que s’organise l’aide militaire française à l’Armée syrienne libre.
« J’voudrais bien (le dire) mais j’peux point ». C’est là toute la difficulté de l’exercice pour François Hollande quant à la question de l’armement de l’opposition syrienne. Il y a dix jours, le vendredi 14 juin, l’état-major conjoint de l’Armée syrienne libre (ASL) avait fourni aux représentants des 11 pays «amis de la Syrie», dont la France, une liste détaillée de leurs besoins militaires pour éviter d’être rapidement défaits par l’offensive en cours des forces gouvernementales de Bachar al-Assad. Cette liste, secrète, comprend des armes mais pas seulement : l’ASL a besoin d’un soutien logistique et médical, de transmissions sécurisées, de formation, d’accès à du renseignement sophistiqué (écoutes électroniques, imagerie spatiale, etc.) et de ce que les diplomates appellent pudiquement « un accompagnement technique à la conduite des opérations », c’est-à-dire de conseillers militaires insérés dans leurs états-majors.
La France a décidé de répondre positivement à une partie de ces demandes, mais, à l’Elysée, on hésite à le dire publiquement. Selon nos informations, Paris a déjà contribué à l’acheminement d’armes légères « démarquées » vers les combattants syriens. Démarquées, cela signifie qu’on ne peut pas les identifier comme étant de provenance française. Rien d’officiel donc – c’est la raison même de l’existence des services secrets, qui font, sur ordre du pouvoir politique, des choses que ce même pouvoir politique n’a pas envie d’assumer. Une ligne rouge a néanmoins été fixée : pas de missiles sol-air portables, l’arme que l’on redoute de voir tomber entre des mains terroristes. Autre appui important : cet « accompagnement technique à la conduite des opérations », avec l’envoi de personnels des opérations spéciales auprès des chefs militaires de l’ASL, en Jordanie. Le Commandement des opérations spéciales (COS) français connait bien la Jordanie, pays avec lequel des coopérations discrètes existent depuis une quinzaine d’années. Cela facilite les contacts sur place, comme l’a constaté, dimanche soir, François Hollande, lors de son bref passage dans le royaume hachémite.
Si l’Elysée hésite tant à assumer cette aide militaire, c’est parce que la France redoute de faire cavalier seul sur ce dossier explosif. Elle s’en tient donc à l’espoir d’une réponse «collective, concertée et complémentaire», selon les mots du Quai d’Orsay. Mais pour être « collectif», il faut être plusieurs… et lorsque François Hollande se retourne pour voir qui l’accompagne sur ce chemin, il se sent bien seul.
Dans cette affaire, le plus proche allié de Paris est le Premier ministre David Cameron, mais celui-ci ne souhaite rien annoncer, tant son opinion publique et la classe politique sont vent debout contre toute aide aux rebelles. Le maire de Londres Boris Johnson, un conservateur pourtant, les a ainsi récemment qualifiés de « fous ». Le seul soutien de Cameron est Tony Blair, complètement décrédibilisé dans l’opinion pour avoir entrainé son pays dans l’aventure irakienne aux côtés des Américains. Dans des limites étroites – celles du contrôle parlementaire plus strict à Londres qu’à Paris – David Cameron peut sans doute agir, à l’unique condition de rester discret. Les Américains ? Barack Obama freine toujours des quatre fers. Les Allemands ? Pas intéressés et, qui plus est, en pleine campagne électorale. Côté occidental, Paris est donc isolé.
Reste les pays arabes et musulmans. Difficile de s’afficher aux côtés du Premier ministre turc Erdogan aux prises avec ses contestataires. Le Qatar ? Malgré l’amitié affichée au cours de ce voyage officiel, l’émirat reste trop suspect de soutenir les islamistes radicaux en Syrie comme ailleurs. La Jordanie ? Sous pression, elle ne pèse pas assez lourd. Reste l’Arabie saoudite : le prince Mutaib, l’un des 34 enfants du roi Abdallah et chef de la Garde nationale, a récemment proposé à la France de lancer une initiative commune. Mais son père, moribond, n’est plus en état de recevoir la visite de François Hollande, qui avait, un temps, été envisagée.
(Jean-Dominique Merchet)
Lopinion.fr via Polémia
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