mercredi 22 août 2012

Guérilla urbaine "à la française"

Sans Amiens ravagé, les policiers blessés et les habitants épouvantés, l'affaire finirait pas être cocasse. Au théâtre, on a même un nom pour cela : le comique de répétition.
Car depuis 1979, de telles bouffées de violences urbaines adviennent répétitivement dans notre pays, à chaque fois plus graves dans les divers sens du terme, c'est à dire plus intenses, plus longues ou plus destructrices. On y use souvent d'armes à feu contre les forces de l'ordre, désormais, d'armes de guerre. Il s'agit donc bien d'une guérilla urbaine - observons les récentes photos : Amiens ou Alep ? Difficile à dire...

Tout d'abord : s'agit-il vraiment d'émeutes, comme on l'entend souvent ? Y a-t-il des "émeutes" dans les banlieues françaises ? Nullement. Une émeute (du mot "émouvoir") est un soulèvement populaire, dit le Larousse. Or dans ces banlieues, seules agissent de petites bandes armées, quelques milliers d'individus en tout et pour tout dans 26 départements métropolitains, qui ciblent d'usage des lieux sans défense : abribus, écoles, crèches, ateliers, casernes de pompiers, etc. Emeutes au Caire ou à Tunis, oui, mais dans les banlieues françaises, il s'agit de pures et simples exactions commises par des voyous.

Autre certitude : ces bouffées de violence sont tout, sauf nouvelles. Etonnante en revanche - et même incroyable - la double, commune et tenace amnésie des médias et de la classe politique, qui depuis trente ans et plus, tombent de l'armoire à chacun de ces répétitifs épisodes de violence.

Et pourtant ! Prenons un exemple, entre cinquante autres analogues. Dans la nuit du 13 juillet 2001 à la Cité du Galion d'Aulnay-sous-Bois (93) (pdf), une bande armée sabote le central électrique. Tout le quartier (23000 habitants) est plongé dans le noir. Puis elle défonce le portail du bâtiment de la Protection maternelle et infantile à l'aide d'une voiture-bélier, et l'embrase. Un incendie si violent que dans l'immeuble voisin, les volets fondent le long des murs. Enfin, les pompiers sont attaqués à la barre de fer et leur véhicule, violemment percuté par une pelleteuse conduite par les voyous.

Dans la foulée - comme d'usage - les ministres accourent, prononcent des propos aussi martiaux que définitifs sur l'Etat de droit... L'implacable riposte... Tout bien sûr est illico oublié.
Reste que, depuis 33 ans, il y en a tant eu, de ces discours, que la déclaration post-exactions devient un genre discursif en soi.... Le style Sarkozy, la manière Jospin... La touche Valls !
Autre réalité : dans leur gravité et leur fréquence, ces violences urbaines sont uniques en Europe. Celles de Grande Bretagne en août 2011 ? Les premières significatives depuis... 1986. Quasiment rien ailleurs en Europe : ni embuscades visant la police, ni incendies massifs de bâtiments ou de véhicules, ni constantes guerres de bandes accompagnées d'homicides commis à l'arme de guerre.

Posons maintenant les questions qui fâchent : où ces violences se produisent-elle d'ordinaire ? En 2006, le Centre d'analyse stratégique du Premier ministre nous l'apprend : "Les communes relevant de la politique de la Ville y semblent plus sensibles, concentrant l'essentiel des faits (violences, incendies volontaires, etc.)... Dans la petite couronne [parisienne] on observe que les communes de la politique de la ville ont été le théâtre de la plupart des incendies de véhicules de la phase initiale..."

Quoi ?! La "politique de la Ville" n'aurait nulle action bénéfique (paix et harmonie sociale, emploi...) sur les violences urbaines ? Non et-même, son échec est si abyssal qu'on peut avec raison comparer cette "politique" à la défunte agriculture soviétique. Tout y est : conception purement idéologique, échafaudage en usine à gaz, acharnement illusoire - là où le premier gosplan a échoué, le second triomphera - et résultat néant, comme si l'on versait depuis 1982 et le "Plan Bonnemaison", de l'eau dans un trou.

Cela, un récent rapport de la Cour des comptes nous le prouve ("La politique de la Ville, une décennie de réformes"). Allocations de crédits absurdes (En Ile-de-France, la Seine Saint-Denis a ainsi "l'enveloppe la plus faible"), "gestion chaotique de la rénovation urbaine" n'ayant "pas permis de réduire les inégalités dans les quartiers sensibles"... 536 millions d'Euros ainsi gaspillés en 2012... Plus le "Programme national de rénovation urbaine" de M. Borloo qui "n'a pas atteint ses objectifs", en ayant coûté 42 milliards (lisez bien : 42 milliards d'euros) de 2004 à 2013. Et les 751 Zones urbaines sensibles (ZUS) à ne pas confondre avec les quartiers CUCS (Contrats Urbains de Cohésion Sociale)... Toujours inventive dans l'euphémisme, la Cour des comptes parle d'"enchevêtrement croissant des zonages". Un contribuable atterré verrait plutôt, lui, dans cet "enchevêtrement sans cohérence de programmes, de dispositifs et de périmètres" un ubuesque et ruineux boxon.

Et les politiques là dedans ? La gauche au pouvoir ? L'honnêteté impose de dire d'emblée que l'avorton "Politique de la Ville" est une parfaite cogestion droite-gauche. D'où l'abstention prudente des récentes campagnes : le 5 mars dernier Les Echos titre "Banlieues, les candidats à la présidentielle en panne d'idées". Et pour cause : tous ont participé au désastre, nul n'a révisé le projet initial - sauf pour y déverser des milliards de plus. Le dernier ministre en date sous Sarkozy (pardon d'avoir oublié son nom, 21 responsables de la Ville en 21 ans, c'est trop) se voulait "le ministre des bonnes nouvelles" (traduisez : autres milliards en vue), ce qui revient à vanter les bienfaits du jacuzzi aux passagers du Titanic.

Et la gauche au pouvoir ? Durant sa campagne, M. Hollande a dit "vouloir en finir avec le traitement d'exception" réservé aux banlieues et appelé les grandes entreprises à y recruter - un quintessentiel service minimum. Depuis, quelques signes inquiétants :
- Le ministère de la ville a été confié au bras droit de Mme Aubry (M. François Lamy) ce qui ressemble plus à une épouvantable vacherie qu'à un geste sympathique du président Hollande envers la première secrétaire du PS.
- Et Mme Taubira, dont chaque propos public provoque, sur les bandes criminelles, l'effet d'une hormone de croissance.

Mais alors, que faire ?
Concluons en revenant à la cité du Galion, en juillet 2001. Peu après l'orgie de violence, trois voyous furent arrêtés. Lisons le Code pénal. "Vol en bande organisée avec usage d'une arme" (311.9)... "Tentative de meurtre" (221.1) : ce sont des crimes, dont les auteurs (majeurs ou mineurs) encourent de sévères peines de prison ferme.
Nonobstant, un des criminels fut "condamné" à 2 000 francs d'amende, l'autre à 4 000 f., le dernier à un mois de prison avec sursis et à 4 000 f. d'amende. Supposons que, pris de folie, ces criminels décident de payer leurs amendes : au total, ces 10 000 francs représentaient à l'époque un après-midi de deal de haschisch (une soixantaine de barrettes de 5 grammes).
Insister serait cruel.

Source : Xavier Raufer

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