"La réélection de Barack Obama (50 % des voix contre 48 % à Romney) inspire trois sortes de remarques. Premièrement, le scrutin de 2012 fait apparaître un clivage racial accentué. Les hommes blancs ont voté majoritairement pour Romney et les minorités raciales pour Obama. Cette réalité est visible aux Etats-Unis (contrairement à la France) puisque chaque citoyen-électeur est identifié selon son appartenance raciale simplifiée. La fracture entre le vote des Blancs (hommes et femmes) et celui des minorités s’est accentuée depuis l’élection de 2008. Obama ne recueille plus que 39 % des voix chez les Blancs contre 43 % en 2008. En revanche, il reste plébiscité dans l’électorat noir (afro-américain) avec un léger tassement : 93 % des suffrages exprimés contre 96 % en 2008. Il progresse dans l’électorat hispanique (latinos) avec 71 % des suffrages contre 67 % en 2008 (27 % à Romney). Cet électorat hispanique représente environ 10 % de la population américaine. À l’horizon de 2020, plus d’un électeur sur trois sera noir, latino ou asiatique. Vers 2050, cet électorat « de couleur » sera majoritaire. Les Blancs seront alors minoritaires dans le pays qu’une partie de leurs ancêtres avaient fondé en 1776. Samuel Huntington s’en était inquiété dans son livre Who Are We ? « Qui sommes-nous ? » publié en 2004, peu avant sa mort (ouvrage traduit chez Odile Jacob). On dira que les Blancs continueront sans doute de constituer majoritairement l’élite intellectuelle, économique et politique, ce qui reste à prouver. Cette partition (opposition) raciale, en dépit des efforts d’intégration, provoquera nécessairement à terme de graves fractures dans une société qui s’en trouvera affaiblie. On ne peut exclure que des puissances concurrentes (Chine, Inde, Islam, Amérique du Sud) n’attisent cette fracture. C’est une réalité à conserver à l’esprit.
Deuxième remarque. La « grande démocratie », le modèle du genre selon ses admirateurs, affiche d’étranges paradoxes. Le taux de participation électoral a toujours été beaucoup plus faible qu’en Europe. En 2008, lors de la première élection d’Obama, le taux de participation était de 58,2 %. Il est tombé à environ 50 % en 2012. Autrement dit, 50 % des électeurs américains se sont abstenus (en dépit des efforts de mobilisation des deux candidats). Mais ce chiffre est en réalité très au-dessous de la réalité. On estime en effet que sur une population électorale évaluée à 240 millions, plus de 40 millions ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Ce qui porte le vrai taux d’abstention et d’indifférence à plus de 60 % de la population en âge de voter. Autrement dit, plus de 60 % des habitants (de diverses couleurs) ne se sentent pas concernés par le « rêve américain » célébré par tant d’admirateurs européens. À se demander si la vérité de la « culture civique » américaine n’est pas celle du Parrain (The Godfather), chez d’œuvre en trois parties de Francis Ford Coppola, plutôt que celle des images vertueuses célébrant Abraham Lincoln ou F.D. Roosevelt ? On répliquera que l’une n’interdit pas l’autre. Peut-être. Mais ce serait intéressant d’y réfléchir. En effet, Le Parrain souligne l’importance de la solidarité ethnique (italo-sicilienne) en contradiction avec le rêve désormais disparu du « melting pot ». Dans sa deuxième partie, le film grandiose de Coppola dresse le portrait particulièrement soigné d’un politicien corrompu, bien sous tous les rapports : un sénateur du Nevada (très WASP) qui se fait piéger grâce au meurtre sanglant d’une prostituée.
Troisième remarque qui concerne la religiosité américaine associée à la politique. Influence dont on a tant parlé à l’époque de George W. Busch. Au début des années 1970, en pleine vague de contestation des campus, seuls 7 % des Américains se disaient sans affiliation religieuse. Le taux est passé à 15 % en 2007 et à 20 % aujourd’hui (chiffres cités par Le Monde des 14-15 octobre 2012 qui se réfère au New York Times). Selon ce journal (New York Times), cette évolution aurait des « allures de séisme ». Près de 46 millions d’Américains se déclarent désormais « sans affiliation religieuse particulière », et parmi eux 13 millions se disent athées ou agnostiques. Les 20 % de « sans religion » sont à peine moins nombreux que les catholiques (22 %) qui se maintiennent en raison du flux d’immigrés hispaniques. La même enquête signale que les protestants de diverses obédiences passent pour la première fois sous la barre des 50 % (48 %). Le mouvement de désaffection concerne principalement les Blancs alors que les Noirs restent fidèles à leurs habitudes confessionnelles. La chute est particulièrement sensible chez les jeunes : un tiers des moins de 30 ans se dit sans religion contre seulement 9 % des 65 ans et plus. L’enquête souligne encore une évolution sensible : dans un pays où Dieu est rituellement invoqué dans les discours politiques et sur les billets de banque (In God we trust), la réprobation sociale à l’encontre de ceux qui se disent sans religion est fortement atténuée. Dont acte. On le voit, à bien des égards, l’Amérique change. C’est au moins un bienfait des élections que de le montrer."
(Dominique Venner)
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