LE PASSAGE DE PÂQUES (page 107)
Huit périodes de quarante jours correspondent théoriquement
à trois cent vingt jours alors que l'année solaire en comporte trois cent
soixante-cinq jours et quelques heures. L'écart provient en fait du décalage
qui existe entre un calendrier rythmé sur les phases de la lune (comme l'était
le calendrier des peuples dits « barbares» avant la conquête romaine) et un
calendrier solaire. La fête mobile de Pâques est la clé de tout le calendrier
médiéval. Elle introduit un déphasage dans le rythme des quarantaines ici
analysé mais elle ne fait qu'en confirmer le principe. On sait que Pâques est
une fête mobile qui peut osciller entre le 22 mars et le 25 avril. Quarante
jours avant Pâques, un mardi gras précoce peut donc se trouver au plus près de
la . Chandeleur; au contraire, une fête de Pâques tardive le reporte un mois
plus tard. Dans l'intervalle, le carême impose sa rigueur et sa loi inflexible
de quarante jours (carême vient du latin quadragesima qui renvoie au chiffre «
quarante» ).
L'OEUF (page 112)
Comme les sept autres grandes dates de l'année, Pâques peut
se comprendre comme une date d'intense circulation des âmes et esprits entre
l'Autre Monde et le monde humain. Le modèle de ces rapports se trouve dans de
nombreux récits celtiques. Le passage christique de la mort vers la vie ne fait
finalement que reproduire à une échelle chrétienne ce trajet symbolique. Dans
le folklore, la période pascale est marquée d'abord et avant tout par
l'apparition d'êtres de l'Autre Monde qui prennent principalement une forme
animale. Le lièvre de Pâques est une réincarnation printanière du Sauvage; il
s'apparente à la cohorte des animaux féeriques qui hantent l'imaginaire
médiéval.
Si le Moyen Age ignore, en effet, le lièvre distributeur de
cadeaux et de friandises, il connaît d'autres figures tout aussi merveilleuses.
La biche blanche ou le cerf blanc des récits arthuriens hantent ces périodes de
transition entre les quarantaines de l'année. Dans le roman de Chrétien de
Troyes intitulé Erec et Enide, la chasse au Blanc Cerf a lieu le lundi de
Pâques, comme s'il fallait rappeler le lien de cet animal avec la lune
d'équinoxe. L'apparition des animaux fées est commandée par l'astre lunaire qui
rythme leur récurrence annuelle. Ces animaux conducteurs d'âmes servent de
médiateurs entre le monde humain et l'Autre Monde.
Dans le folklore moderne, les traditionnels oeufs de Pâques
sont censés être apportés aux enfants par les cloches qui reviennent de Rome ou
par le lièvre de Pâques lui-même. Toutefois, dans les régions germaniques, l'animal
féerique change d'apparence : en Westphalie, c'est un renard, en Thuringe une
cigogne, au Tyrol une poule blanche, en Suisse un coucou et en Saxe un coq. La
présence d'animaux de basse-cour semble plus vraisemblable à côté de ces oeufs
rituels. Cependant, il est évident que les oeufs de Pâques sont investis d'une
valeur mythique qui n'a rien à voir avec leur usage proprement alimentaire.
Leur caractéristique mythique semble même privilégier des usages non
alimentaires. Quant au lièvre de Pâques, son rôle mythique est bien antérieur à
la civilisation chrétienne puisqu'il se trouve déjà dans le bouddhisme et dans
la mythologie chinoise. Il habite sur la lune où il prépare une nourriture
d'immortalité. Les oeufs de Pâques semblent bénéficier de vertus comparables
sans qu'il soit possible, bien évidemment, d'établir un lien direct entre eux
et la nourriture des antiques divinités chinoises. Dans le folklore pourtant,
les oeufs de Pâques, surtout ceux qui avaient été pondus le vendredi saint,
étaient jadis réputés procurer la santé aux hommes et aux bêtes. Ils pouvaient
se conserver longtemps et protégeaient également contre la foudre. On s'en
servait encore pour reconnaître les sorcières ou pour se prémunir contre elles:
l'absorption d'une soupe à base de neuf herbes et légumes différents avait la
même vertu. L’oeuf de Pâques se protège en fait toujours comme un
porte-bonheur. Dans certaines régions d'Alsace, on se transmet des oeufs
millésimés de génération en génération. On pense que, dans un oeuf de Pâques
qui s'est conservé pendant cent ans, le jaune se transforme en pierre précieuse
et assure la fortune de son possesseur.
Les druides croyaient déjà à la puissance magique de l’oeuf.
Le mythe gaulois de la vouivre, rapporté par l'écrivain latin Pline, en rappelle
des aspects majeurs. Marcel Aymé illustra cette croyance sous une forme
plaisante dans l'un de ses romans qui se réfère explicitement à l'antique
tradition gauloise. L'animal mythique sécrétait une sorte d’oeuf qui pouvait
devenir un talisman. La figure de la vouivre, modèle de toutes les créatures
fées de l'Autre Monde, pourrait bien constituer l'étape celtique d'une croyance
en la régénération périodique du temps des saisons, une sorte de mue humaine
vers une vie renaissante.
Source :
Philippe WALTER, Mythologie chrétienne, Imago, 2003, 20 € (www.editions-imago.fr )
Pour aller plus loin :
- Pierre VIAL, Fêtes païennes des quatre saisons, les
éditions de la forêt, 2008
- Christian-J. Guyonvarc'h et Françoise Le Roux, Les Fêtes
celtiques,Ouest France, 1995
- Nadine CRETIN, Fête des fous, Saint-Jean & Belles de
mai. Une histoire du calendrier, Seuil, 2008
- Guy DELEURY , Les fêtes de Dieu, éditions du Félin, 1994
(épuisé)
- Yvonne de Sike, Fêtes et croyances populaires en Europe,
Bordas,1995 (épuisé)
- Alain de BENOIST, Les traditions d'Europe, Le Labyrinthe,
1996
- Arnold VAN GENNEP, Le folkore français, Robert Laffont,
1999