lundi 18 juin 2012

A gauche tous ! Les journalistes français et leur quête éperdue du prolétaire perdu


Un sondage réalisé par Harris Interactive pour le magazine Médias révèle que 74% des journalistes ont voté François Hollande au second tour de la présidentielle. Pourquoi les journalistes sont-ils si nombreux à se dire de gauche ?

André Bercoff : Je ne peux pas dire que cela me surprenne. C’est une tradition qui date pratiquement de la Libération. Sans rappeler ce qui s’est passé, je m’amuse de la classification collabo à droite et résistant à gauche qui est tout à fait fallacieuse. Il suffit de lire un certain nombre de bouquins pour savoir que c’était beaucoup plus complexe.
Ensuite, il y a eu différentes strates qui ont confirmé la tendance : Guerre de libération nationale, guerres du tiers-monde, la culpabilité coloniale, l’empreinte extrêmement forte du marxisme, puis dans une autre mesure du maoïsme. Toute cette doxa a conduit à ce que j’appelle une « schizophrénie heureuse ». En d’autres termes, je vis avec tous les avantages du système mais je pense « antisystème ». Peu importe comment je vis, puisque je me proclame dans le bon camp, le camp progressiste, celui du « bien ». C’est ce que Philippe Muray appelait les rebelles de confort ou les « mutins de panurge ».
Un exemple : quand on dit aux apôtres de l’altermondialisme que, grâce à la mondialisation, il y a aujourd’hui une classe moyenne en Chine et en Inde et que ces pays-là sortent petit à petit de la pauvreté, on a l’impression que tous ces gens qui devraient être pour l’internationalisme des peuples se foutaient un peu du fait que ces populations vivaient dans une misère noire. C’est un paradoxe intéressant. La réalité se réalise selon mon regard et mes lunettes. Si cela ne correspond pas, je ne change pas de lunettes, je change de réalité…
Evidemment, les journalistes qui ont voté pour François Hollande ne sont pas tous des « schizophrènes heureux » et on peut parfaitement avoir voté pour le président de la République pour de bonnes raisons.

Où placez-vous mai 68 dans tout cela ?


Les soixante-huitards, c’était encore une autre forme. La réalité anarchico-existentielle de mai 68, qui était beaucoup plus situationniste qu’autre chose, a été récupérée par les bureaucrates staliniens, maoïstes et trotskystes et ensuite les bureaucrates du Parti socialiste.
Les journalistes n’ont pas tous été imprégnés de la même manière par ces évènements. Comment cela s’est-il transmis à la génération des trentenaires et des quarantenaires ?
On retrouve effectivement cette posture chez la génération qui suit. Cela s’est transmis par le fait que, comme toutes les révolutions ont échoué, il fallait à tout prix garder la posture. Comme le capitalisme n’a jamais autant fleuri et comme on voyait que sur le plan pratique aucune des utopies ou des objectifs ne se sont réalisés, il fallait d’autant plus garder cette posture.
Evidemment, on n'est plus communiste stalinien comme en 1950 mais plutôt dans une certaine mouvance symbolisée par les droits de l’homme et l’antiracisme. A chaque fois, comme le prolétaire les fuyait, partait sans laisser d’adresse, il fallait trouver de nouvelles incarnations du prolétaire : l’immigré, le sans-papiers. Et le petit peuple français est désormais considéré comme beauf. En gros, on retrouve les sans-papiers contre les « Dupont Lajoie ».
Si François Hollande a été élu président de la République, la France reste néanmoins un pays marqué à droite. Est-ce le signe d’un divorce entre les Français et les journalistes ?
Les « terrifiants pépins de la réalité » sont là. A un moment donné, les gens se rendent compte de la présence d’un certain nombre de problèmes. Même si quand Eric Zemmour, Ivan Rioufol ou Elisabeth Lévy commencent à donner de la voix c’est tout juste s’ils ne sont pas tous considérés comme des agents électoraux de Marine Le Pen.
Pour changer cela, il est vraiment temps de reconsidérer les notions de gauche et de droite. Je trouve fascinant qu’aujourd’hui on parle de la gauche et de la droite avec des grilles de lecture vieilles de 50 ans. Les repères ont complétement changé. La mondialisation ne peut-elle pas être à gauche pour la Chine ou l’Inde ? Est-ce que le fait que ces deux pays sortent de leur misère initiale est de gauche ou de droite ? Les gens de gauche vous diront : « jamais de la vie, c’est le capitalisme le plus immonde qui a fait cela ». Mais alors, comme le dit bien Gaspard Proust : « Comment se fait-il que, quand l’Europe de L’Est s’est libérée, tous les gens n’aient pas foncé vers l'est ? »
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